Dmitri Bayanov nous a fait l’honneur, dans le dernier numéro de BIPEDIA ( 19 ), de
contribuer au débat en cours sur le bipédisme initial des Mammifères. Saluons cette initiative
d’un proche collaborateur de Boris Porchnev.
Je tiens à souligner combien j’apprécie le travail de terrain et la méthodologie de Dmitri
Bayanov ( Darwin Museum, Moscou ), auteur d’excellents ouvrages sur l’homme sauvage russe
et sur le bigfoot nord-américain.
Tout comme Dmitri, j’ai été initié durant mes études de Zoologie au darwinisme pur et dur.
Dans ce cadre théorique, par le jeu de la sélection naturelle et de mutations fonctionnelles,
l’homme Homo sapiens occuperait le plus haut niveau dans l’évolution.
Parmi les animaux vivants ( et répertoriés ), les grands singes sont les plus proches de
l’homme. Ainsi occupent-ils, dans la hiérarchie darwinienne, la place "juste en dessous"...
On peut donc penser qu’ils représentent un stade anatomique antérieur. Ce que fit le
médecin anglais Edward Tyson, dès 1699. On trouva plus tard d’autres prétendants au titre de
"missing link" : néanderthaliens et pithécanthropes au XIX° siècle, australopithèques au XX°
siècle...
Mais on peut ressembler à son cousin, et ne pas être son descendant ! Le problème est
aussi que l’on découvre maintenant tous les 6 mois des "ancêtres" supposés de l’homme :
Orrorin tugenensis, Kenyanthropus platyops, Ardipithecus kadabba... Cela veut dire que la
piste qui mène du singe arboricole vers l’homme n’est sans doute pas la bonne !
Les travaux de la paléontologiste Yvette Deloison ( 1999 ) confirment ce point de vue. Elle
écrit en substance : "Il paraît évident que l’ancêtre commun des australopithèques, des grands
singes et de l’homme, était un Primate aux extrémités des membres indifférenciés ; de plus,
cet ancêtre devait être bipède, ce que prouve, entre autres caractères, la structure primitive
de la main humaine".
Nous sommes au coeur du débat. Quelle ancienneté faut-il donner à la bipédie, par rapport
à la quadrupédie "normale" des Mammifères ?
Comme son nom l’indique, la théorie de la bipédie initiale stipule que cette forme de
locomotion sur deux membres inférieurs est la plus ancienne. Elle a dû apparaître très tôt
dans l’évolution des Vertébrés.
M’appuyant sur le Principe de Parcimonie en science ( ou "rasoir d’Ockham" ), je dirais même
que la bipédie ne s’est développée qu’une seule fois chez les Vertébrés. Elle serait donc
antérieure à l’avénement des dinosaures théropodes, à certains reptiles ( Eudibamus cursoris ),
aux oiseaux et aux mammifères généralement quadrupèdes.
A quoi ont ressemblé les premiers bipèdes ? Avant de répondre à cette question,
considérons un bipède que nous cotoyons tous les jours ( si nous habitons à la campagne ) : le
Poulet. S’il marche comme nous sur 2 jambes, pourquoi n’est-il pas affublé d’une petite tête
d’homme ? Nous comprendrons bien vite que le poulet et les autres oiseaux se sont
radicalement transformés en adoptant leurs membres antérieurs ( = les bras ) au vol battu. La
tête s’est alors chargée des fonctions de préhension, initialement dévolues aux mains...
Ainsi, l’oiseau a-t-il un bec puissant, faisant office de "pince" au sommet d’un long cou
flexible ! Quant aux pieds, ils sont devenus le "train d’atterrissage" performant que nous
savons.
Logiquement, dans un tel contexte évolutif, les tout premiers bipèdes de l’ère Primaire ont
possédé des caractères simples, indifférenciés : une main primitive à 5 ou 6 doigts, un pied
plantigrade avec talon, une tête en aplomb sur les épaules dans l’axe vertical du corps.
Mais, nous nous sommes maintenant tellement habitués à l’idée que la bipédie humaine
représente un aboutissement qu’il nous est difficile de concevoir l’autre alternative zoologique,
à savoir que les formes quadrupèdes dérivent des formes bipèdes !
On pense communément que chez l’homme la bipédie a libéré la main et entraîné
l’augmentation de la capacité crânienne. Or, l’embryologie nous montre exactement l’inverse.
Comme le soulignait déjà Bernard Heuvelmans en 1954, si nous marchons debout, c’est parce
que nous avons un gros cerveau. Cet organe est bien plus ancien que l’adaptation locomotrice
terrestre. Et il paraît avoir été conçu plutôt pour un bipède...
Cela voudrait dire que l’encéphale globuleux de l’homme fait également partie des caractères
anciens de notre lignée, au même titre que la main en palette ou le pied à talon [ notons au
passage que le calcanéum s’est résorbé chez les amphibiens et les reptiles... ].
L’anatomiste allemand Max Westenhöfer avait proposé dès 1926 son modèle du
"Lurchreptil" afin d’expliquer l’origine de la bipédie chez les premiers Vertébrés terrestres ou
semi-aquatiques. Il n’envisageait bien sûr pas une descendance des mammifères à partir des
formes reptiles [ c’est encore une idée reçue ! ].
Reprenant ses résultats - et ceux des zoologistes belges Serge Frechkop et Bernard
Heuvelmans - je replaçai tout naturellement les primates bipèdes à l’origine du phylum des
Vertébrés amniotes et anamniotes.
Dans la continuité des travaux du professeur Wolfgang Gutmann ( Ecole de Francfort ),
j’envisageai l’émergence des premiers vertébrés aquatiques à partir de vers marins dotés
d’une corde dorsale flexible et d’un système nerveux ( moelle épinière ) dorsal.
La formation d’une tête chez des animaux qui en étaient a priori dépourvus est un problème
que la Zoologie classique "esquive"... Mon interprétation ( dite : de l’ << homoncule marin >> )
n’est guère plus spéculative que celle des systématiciens qui font "pousser une tête" à
Amphioxus, animalcule acéphale et microphage qui vit enfoui dans le sable des plages.
Dmitri Bayanov évoque des similitudes entre la théorie homonculienne et certaines positions
philosophiques, actuelles ou passées. Certes, mais on pourrait en dire tout autant d’autres
propositions scientifiques. Ainsi, l’héliocentrisme a-t-il d’abord été une vue de l’esprit, avant de
trouver sa confirmation a posteriori dans les calculs de Kepler, et dans les observations de
Galilée.
Quant au processus de déshominisation, défini comme l’éloignement progressif par rapport
aux traits qui caractérisent l’Homo sapiens, il réflète sans doute une tendance évolutive banale
au sein des Primates.
Dans ce contexte, les singes sont des primates secondairement arboricoles, comme l’étaient
aussi les australopithèques... La collecte actuelle de fossiles ( Orrorin tugenensis, Ardipithecus
kadabba ) va dans ce sens, sinon il faudrait admettre qu’un hominidé puisse avoir des
caractères de pieds arboricoles sans avoir jamais utilisé ces possibilités fonctionnelles, et en
ayant été bon bipède ! Ce qui est plutôt incohérent.
A noter aussi que l’argument présenté par Dmitri Bayanov : "dermatoglyphs serve to increase
friction between the hands and branches of trees, making tree-climbing more secure" n’est pas
très adéquat. En effet, ces dermatoglyphes ( ou empreintes digitales ) paraissent plutôt s’être
développés en fonction d’un substrat lisse et mouillé : à l’origine,
ce système de rigoles et de
crêtes sur les doigts et orteils devait servir à chasser l’eau vers l’extérieur, ce qui permettait
une meilleure prise à flanc de roche sous la surface, par effet de ventouse.
En revanche, une telle disposition cutanée n’aurait été d’aucune utilité dans les branches, ni
le long de troncs à écorce rugueuse.
Du côté des paléo-anthropologues, certains chercheurs comme Marc Verhaegen vont jusqu’à
définir une phase semi-aquatique ( aquarboreale ) chez les primates grimpeurs du Miocène.
Dans cette hypothèse, les australopithèques, voire même Homo erectus, ont été d’excellents
nageurs. Ce qui apparaît fort probable. Mais c’est au cours d’un stade aquatique bien antérieur
qu’ont dû se former les dermatoglypes des pieds et des mains.
A mon avis, la recherche hominologique moderne tend largement à démontrer que les
primates bipèdes récents ( ou fossiles ) ne sont pas des "missing links" entre singes et hommes,
mais des êtres sauvages déshominisés, vivant depuis longtemps en marge de notre culture.
Les moulages d’empreintes attribuées au Bigfoot montrent par exemple un pied à talon, mais
"caoutchouteux", sans voûte plantaire transversale. Est-il raisonnable de penser que ce type
de pied puisse-t-être originel chez un bipède ? Non... En revanche, le pied de Bigfoot peut
dériver d’un pied de sapiens. La bipédie, inscrite dans l’architecture squelettique, reste acquise
malgré les transformations irréversibles du pied !
Homo sapiens n’est pas le point final de l’évolution des mammifères, mais un processus
évolutif en cours. Comme toute autre espèce animale, il est susceptible de muter et de se
transformer...
Les hommes sauvages et velus ( HSV ) qui peuplent avec nous la planète sont de proches
cousins. Ils vivent cachés, dans les circonstances actuelles. En revanche, pendant les périodes
géologiques de "crise", ils sortent de leurs cachettes. Ce fut le cas lors des derniers
refroidissements planétaires, quand Homo sapiens fut contraint de se réfugier dans les
cavernes... [ Cro-Magnon, en Europe ]