Le premier adam se trouvait très bien au « paradis de la volupté » ( paradisus
voluptatis ) avec la première ève. L’un et l’autre étaient nus ( erant uterque nudi )
( Genèse, 2, 25 ), comme il est naturel ( scilicet ) entre époux. La Bible parle ici d’Adam
et de son épouse ( Adam et uxor ejus ). Ils ne rougissaient pas de leur nudité ( non erubescebant ).
Bien sûr qu’ils mouraient, mais ils ne donnaient pas la mort stupidement. Chasseurs, ils ne tuaient leur
gibier que pour le manger. Les mâles en ce temps-là ne dominaient pas les femelles. Ni brutalité, ni viol, ni guerre. Une course
amoureuse, une parade nuptiale, mais pas de violence, dans le paradis de la volupté.
Un jour, les choses commencèrent à changer. C’était dans les années moins trente cinq mille. Un
deuxième adam fit son apparition sur la terre, avec une deuxième ève. La femme enfantait désormais dans la douleur ( in
dolore paries filios ) ( 3, 16. ) Tout devenait pour les époux travaux d’Hercule. Dieu l’avait dit :
« je multiplierai tes misères » ( multiplicabo aerumnas tuas, et Herculis aerumnae, ce sont les travaux
d’Hercule. ) La mortalité infantile était fréquente, d’insignifiante qu’elle était autrefois. Par bonheur, Dieu s’engageait à
multiplier les fœtus ( multiplicabo conceptus tuos ) ( 3, 16. ) Ce fut l’établissement
de la fécondité permanente tout au long de l’année.
Plus grave. On ne sait quelle gêne s’empara de l’homme et de la femme. Ils se mirent dans la tête
qu’ils étaient nus ( cumque cognovissent esse se nudos ) ( 3, 7. ) Le nouvel adam, la nouvelle
ève assemblèrent des feuilles de figuier ( consuerunt folia ficus ) pour se faire des pagnes ( perizomata ).
Dieu ne fut pas contre, mais trouva ces pagnes ridicules, peu efficaces. Dieu, meilleur couturier, fit pour Adam et son
épouse ( fecit Deus Adam et uxori ejus ) des manteaux de fourrure ( tunicas pellicias ), d’un air de
dire : « vous êtes ainsi mieux habillés, de véritables hommes et femmes des cavernes. »
D’où leur était venue cette pudeur, encouragée par Dieu ? Très simple. Un jour, Dieu avait
appelé le nouvel adam. Vocation surnaturelle à construire une cité céleste ( vocavit Deus Adam )
( 3, 9. ) Adam le reconnaît : « j’ai entendu ta voix dans le paradis » ( vocem tuam
audivi in paradiso ) ( 3, 10. ) Dieu cherchait partout sur la terre l’homme nouveau capable de répondre
à son appel. Le paradis tout entier résonnait de la voix gigantesque de Dieu : « où es-tu ? »
( ubi es ? ) ( 3, 9. ) L’homme se sent bien incapable de répondre à l’appel
de Dieu : « je me suis caché » ( abscondi me ) ( 3, 10 ),
« j’ai eu peur » ( timui ) « parce que je suis nu » ( eo quod
nudus essem ) ( 3, 10. ) L’homme a honte. Ses organes de reproduction ne seront jamais que
des organes de reproduction, comme pour son précurseur heureux mais incapable de création. Face à sa responsabilité
devant l’avenir de la planète, l’homme a honte.
Les choses demeuraient viables. Le pire n’était pas encore arrivé. Un jour, Dieu mit le nouvel homme
à la porte du paradis terrestre ( emisit eum Deus de paradiso voluptatis ) ( 3, 23. ) C’était en
moins dix mille. Dieu avait décidé de nous faire travailler la terre ( ut operaretur terram ) ( 3, 23. )
C’était la fin de l’heureuse époque où nous étions chasseurs. Dieu plaça des chérubins ( conlocavit cherubin )
devant le paradis terrestre ( ante paradisum voluptatis ) ( 3, 24. ) Les chérubins étaient
armés d’un glaive de feu ( flammeum gladium ) pour marquer notre point de non-retour. Nous devenions
agriculteurs. Notre péché originel consiste à détruire la nature, en vue du labourage. La terre ne se soumet pas facilement. La terre
maudit notre travail ( maledicta terra in opere tuo ) ( 3, 17. ) La terre te fera pousser
des épines ( spinas germinabit tibi ) ( 3, 18. ) Ce que le texte ne dit pas, c’est que le
cultivateur est amené à génocider les herbivores, ce qui du même coup fait périr les carnivores. Et le drame fondamental est
que le premier adam, qui ne pouvait vivre que de la chasse, est amené à disparaître, après tous les autres herbivores et carnivores.
La mauvaise conscience nous assaille. L’homme s’en prend à sa femme, qui était son
associée ( socia ) ( 3, 12. ) Dieu le prévoyait, quand il disait à la femme : « tu seras
sous le pouvoir viril » ( sub viri potestate eris ) ( 3, 16. ) Lui, le mâle, te
dominera ( ipse dominatur tui ) ( 3, 16. ) Le machisme avait fait son apparition.
Derrière lui, la violence, le viol et la guerre, le suicide. La mort que nous semons sur la terre est la conséquence de
notre péché. L’homme que nous sommes désormais connaît le bien et le mal ( sciens bonum et malum )
( 3, 22. ) Nous faisons le mal que nous ne voulons pas faire et nous ne faisons pas le bien que nous
voulons faire.
Finalement, par ce chemin tortueux, le rêve de Dieu se réalise, que l’homme tende la main
vers l’arbre ( mittat manum suam ) ( 3, 22 ), qu’il cueille de l’arbre de vie ( sumat de ligno
vitae ), qui est à portée de sa main, qu’il en mange ( comedat ) et qu’il en ait la vie éternelle ( vivat in
aeternum ) ( 3, 22. ) Et tout est bien qui finit bien.
La Bible a raison de dire que les deux adams n’en font qu’un. Le premier, l’homme
ancien ( qu’on appelle en grec paléanthrope ) prend sur lui l’homme naturel, pour que le second, l’homme
nouveau ( le néanthrope ), dénaturé, soit obligé d’entrer dans la vie surnaturelle. La science distinguait
récemment l’homo neanderthalensis, que nous n’avons jamais été, de l’homo sapiens que nous sommes. Aujourd’hui, la
science préfère parler d’homo sapiens neanderthalensis et d’homo sapiens sapiens, pour dire que notre précurseur et nous,
nous ne sommes finalement bien qu’un seul et même homo sapiens, en deux étapes.
Prendre conscience de l’origine de notre violence peut-il calmer notre violence ?