L’Homme révèle, dans son organisation, les traces d’une bien longue histoire. Il a su
conserver dans sa structure anatomique de nombreuses caractéristiques d’un âge ancien du
monde, quand aucune des formes d’Animaux supérieurs que nous connaissons n’existait
encore de par les continents et les océans.
A la suite de Charles Darwin, T. Huxley et E. Haeckel,
les chercheurs contemporains sont souvent enclins à représenter le passé évolutif de l’homme
moderne ( Homo sapiens ) par
une série de formes intermédiaires allant de quadrupèdes "primitifs" aux hominiens bipèdes
sub-récents, en passant par le stade des simiens arboricoles.
C’est nier de toute évidence le primitivisme structural inhérent
à la morphologie humaine.
D’autre part, on ne saurait passer sous silence le fait qu’il est pour le moins malaisé de faire
procéder l’Homme de formes aussi spécialisées que sont les Singes, même si la collecte
actuelle de fossiles semble abonder de preuves allant dans ce sens ! Le grand zoologiste
français Pierre-Paul Grassé écrivait dans L’Homme en accusation ( Albin Michel, Paris,
1980 ) : "On a soutenu que le rameau humain s’est détaché d’une forme simienne
archaïque. De cela nous ne sommes point assurés car les Primates les plus anciennement
connus portent déjà la marque d’une spécialisation arboricole, qu’on ne retrouve dans
l’anatomie ni de l’Homme, ni de l’Australopithèque".
Il y aurait beaucoup à dire de Propliopithecus, Proconsul, Dryopithecus
ou Ramapithecus, qui présentent tous d’indicutables traits humains,
en plus des caractères qu’ils ont acquis
postérieurement au sein de leurs lignées respectives. Quant à Oreopithecus bambolii qui,
voici 10 millions d’années, menait dans les forêts de Toscane une vie semblable à celle de
nos Gibbons actuels, il était si riche en caractères humains reliques que le Dr. J. Hürzeler
était prêt à le considérer comme un Hominidé : fort raccourcissement de la face, prémolaires
molarisées comme chez l’Homme, bassin large et court pas du tout de type simien. Le
problème était qu’Oreopithecus avait des bras immenses de brachiateur et des jambes
courtes... Cette structure composite ( en fait, un véritable paradoxe phylétique dans la
perspective d’une ascendance simienne de l’Homme ! ) s’explique merveilleusement si l’on se
réfère à un bipédisme initial !
Cela n’est pas sans rappeler le cas de l’Homo habilis
OH 62 de Donald Johanson,
découvert en juillet 1986 à Olduvaï.... Les Australopithèques, ainsi que certaines formes à
l’apparence voisine, représentent bien des lignées qui divergent de la souche humaine en
évoluant vers un stade de singe anthropomorphe.
Ce qui ne veut pas dire que les Gorilles et Chimpanzés actuels descendent de
l’Australopithecus afarensis, par exemple. Ce serait tomber dans l’excès des
paléontologues qui, sur la foi d’une simple convergence de forme, assignaient jadis
Proconsul major comme l’ancêtre du Gorille, et Proconsul africanus comme celui du
Chimpanzé...
Tout au long de mes études de Zoologie, dans les années soixante, j’ai souvent entendu la
fable du singe qui se met debout sur ses pattes de derrière "pour mieux épier ses ennemis
et ses proies potentielles par dessus les hautes herbes de la savane"... Le tout n’était pas de
rester debout, mais d’acquérir une démarche bipède permanente !
Je ne connaissais pas encore Bernard Heuvelmans ( sinon par
ses premiers livres de 1955 sur les Animaux ignorés qui avaient décidé de ma vocation de naturaliste ),
ni les travaux des grands promoteurs de la théorie de la bipédie initiale :
Max Westenhöfer, Serge Frechkop et Klaas de Snoo, mais je pensais
qu’on sous-estimait largement le problème mécanique et psychomoteur d’un bipédisme parfait !
Les australopithèques, du fait de la réduction de leur boîte crânienne, et du faible volume
de leur cerveau, m’apparaissaient comme des formes ayant conservé une bipédie
"résiduelle", comme à un degré moindre les singes anthropomorphes...
Les observations de l’éthologue hollandais Adriaan Kortlandt
[ Protohominid Behaviour in Primates, Symp.Zool.Soc., London, 10 : 61-88, 1963 ]
étaient explicites : "Les singes anthropomorphes descendent d’ancêtres plus humains qui hantaient la savane. Les
chimpanzés se déshominisèrent en s’enfonçant dans la forêt ". Ces observations montraient
la réalité du phénomène de déshominisation, sur lequel Bernard Heuvelmans allait
s’étendre, quand il écrit de façon significative dans son fameux livre L’Homme de
Néanderthal est toujours vivant ( Plon, 1974 ) :
<< Le front devient plus fuyant, les mâchoires se développent, l’appareil masticateur plus
puissant entraîne une amplification des crêtes osseuses du crâne auxquelles s’accrochent
les muscles intéressés. La silhouette toute entière peut même se modifier : la tête s’enfonce
dans les épaules, l’attitude devient de plus en plus penchée vers l’avant, elle tend vers
l’horizontalité de la locomotion quadrupède. Tous les êtres atteints de déshominisation, non
seulement cessent d’agir comme des Hommes, mais ils ressemblent de plus en plus à
l’image qu’on se fait de la Bête >>.
Considérons maintenant le genre Homo des systématiciens. Anatomiquement, l’Homme
actuel, dit sapiens, est pour le zoologiste le seul représentant vivant ( répertorié ! ) de la famille
des Hominidés. Il se caractérise par la station debout parfaite et le volume élevé du cerveau.
L’Homme est un Mammifère, et appartient à l’ordre des Primates. Avec les Singes sans
queue, il constitue le sous-ordre des Anthropomorphes.
Ce qu’on décrit, sur la base d’évidents critères de parenté, comme un "enracinement de
l’Homme dans le monde animal", devrait être plutôt reconsidéré comme le résultat de
filiations successives de Simiens déshominisés à partir de la souche humaine primitive !
Biologiquement, l’Homme est un être non-spécialisé
à l’extrême, capable néanmoins de s’adapter à des milieux très divers, non point par des modifications de son corps,
mais en imaginant différents moyens de rémédier à ses insuffisances physiques ; alors que chez
l’Animal, l’outil fait partie du corps ( museau et griffes du quadrupède, bec de l’oiseau,
nageoires du poisson, etc. ), chez l’Homme l’outil est extérieur au corps.
Mais si par suite d’une baisse de son pouvoir imaginatif l’être humain en vient à utiliser son
corps comme outil, il s’engage dans un processus évolutif qui le mène inéluctablement vers
l’animalité... Comme l’ont suggéré les chercheurs américains E. Trinkaus et F. Smith, la
plupart des caractères crâniens et mandibuliens de l’Homme de Néanderthal paraissent être
en liaison avec une utilisation intensive de la denture antérieure à des fins non-masticatrices :
la bouche devenant une sorte de "troisième main", ce qui ne reste pas sans conséquences
sur la morphologie de la face et du crâne. Ainsi, la déshominisation va aller en
s’accentuant... Des hominiens comme les pithécanthropes et certains australopithécoïdes
pouvaient bien sûr encore se servir de pierres taillées, tout comme le chimpanzé utilise
parfois un bâtonnet pour déterrer des termites.
Phylogénétiquement, la distinction d’une famille des Hominidés
( et plus précisément d’une sous-famille des Homininés avec le genre Homo )
signifie pour le paléontologue que l’Homme dit moderne est l’ultime maillon d’une lignée de primates
dont l’existence s’étend sur une longue durée, ce qui est strictement vrai.
La comparaison avec l’histoire évolutive de certaines formes animales, et une vision
restreinte du phénomène, où des organismes élaborés paraissent nécessairement procéder
de structures plus simples, ont poussé les naturalistes à affirmer que les éléments
successifs menant à l’Homo sapiens ont différé les uns des autres, dans un passé récent,
comme le représentent les dessins suggestifs connus de tous [ série "montante" de Time-
Life ].
Or au contraire, tout indique que le morphotype humain est ancien [ = caractères originels
de la sphéricité du crâne, de la marche bipède debout, de la non-spécialisation anatomique ]
et performant [ gros cerveau, comportement social, bipédie fonctionnelle, excellente
protection thermique ].
Pour en revenir aux Hominidés sub-récents, souvent affublés du nom générique Homo,
une constatation s’impose : ces êtres, en voie de déshominisation, sans renier leur
attachement à la souche humaine, n’en évoluaient pas moins vers l’animalité [ dépassant le
point d’aboutissement de la forme humaine sapiens, c’étaient en fait
des ultra-humains ! ].
Le genre Homo, réservé à l’Homme moderne et aux ancêtres géologiques
dont il procède directement, doit être redéfini selon les critères suivants :
crâne rond, front haut, menton bien développé, face réduite, langage articulé, position basse du larynx, pensée réfléchie,
adaptation fonctionnelle des membres inférieurs à la marche ou à la course en terrain plat.
L’Homme de "type moderne" est bien plus ancien qu’habituellement admis, et les
anthropologues découvrant avec stupeur, comme à Qafzeh en Palestine, des vestiges dont
le grand âge les surprend, ne sont pas au bout de leurs peines, ni de leurs émotions ! C’est
toute une perception des origines de l’humanité qu’il nous faut revoir à la lumière des faits
biologiques. A condition bien sûr qu’on veuille aborder le sujet sans idée préconçue ni parti
pris.