Jusqu’à présent, le processus d’hominisation et
d’acquisition de la bipédie semblait conditionné par la
situation géographique par rapport à la vallée du Rift
africain.
La paléontologie officielle avait ainsi presque admis
l’East Side Story. L’hominisation ne tenait qu’à la
différence climatique qui à l’est, tendant vers la savane
et la raréfaction de la forêt, avait obligé les pré-humains à prendre une station verticale quasi permanente
pour prévenir les dangers ou repérer la nouriture.
On sait aujourd’hui qu’il n’en est rien, et ce grâce à la
découverte du premier pré-humain au Tchad ( 2 500 km à
l’ouest du Rift ) dans la région de Bahr et Ghazal. La
Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne, animée par
le professeur Michel Brunet, de l’Université de Poitiers,
a mis à jour la partie supérieure d’une mandibule d’un
individu, baptisé informellement ABEL en hommage au
géologue Abel Brillanceau disparu tragiquement au cours
d’une mission au Cameroun en 1989.
La faune associée à la découverte est comparable à celle
de Hadar ( Ethiopie ), correspondant donc à une ancienneté
comprise entre 3 et 3,5 millions d’années. On y a trouvé
par exemple les restes d’un éléphant primitif, d’un
rhinocéros blanc primitif, d’un cheval tridactyle
( Hipparion ), d’une girafe fossile ( Sivatherium ), d’un
hippopotame, de bovidés et d’un cochon proche des
potamochères. Des reptiles et des poissons accompagnent
l’ensemble confirmant un biotope lacustre et de prairie
herbeuse. La plupart des vestiges sont en bon état, les
restes du rhinocéros étant même en position anatomique.
Ceci indique qu’il n’y a pas eu transport mais plutôt
recouvrement graduel par des sédiments lacustres ou
fluviaux. Seule l’érosion éolienne qui a découvert en
partie les fossiles les a endommagés.

Mâchoire inférieure d’Abel.
( cliché M. Brunet )
Le 24 janvier 1996, la Mission a découvert une prémolaire
supérieure isolée. L’analyse des restes a permis de
définir ainsi une nouvelle espèce d’Australopithèque : A. bahrelghazali.
Les premiers examens indiquent une
morphologie comparable aux variétés graciles ( afarensis ),
surtout par certaines analogies dentaires : incisives
larges et canines asymétriques. En revanche, l’espèce
possède également de nombreux caractères robustes ( boisei,
robustus ). Chaque molaire a trois racines au lieu de deux,
et la partie antérieure de la mandibule semble plus
"moderne". Ce nouveau taxon aurait donc une face moins
prognathe.
Désormais, l’hypothèse de la coexistence de groupes
d’hominidés anciens très éloignés les uns des autres, et
en tout cas non limités à la zone est du Rift, est
vérifiée. La répartition géographique des
australopithèques s’étendrait selon les
paléoanthropologues depuis le Golfe de Guinée jusqu’au Cap de
Bonne Espérance et sur toute la façade est de l’Afrique.
Le peu de restes trouvés à l’ouest du Rift peut
s’expliquer soit var les mauvaises conditions de
conservation des ossements, soit par la relative rareté
des recherches entreprises dans des zones pourtant a
priori favorables. Rappelons que la zone est, terrain
privilégié des équipes anglo-saxonnes est bien mieux
cartographiée du point de vue des sites paléontologiques
que les immensités du centre et de l’ouest. Des équipes
françaises mènent pourtant des études très prometteuses en
Ouganda et en Namibie, des vestiges ont même été récemment
découverts au Malawi.
En l’état actuel des données, si l’Ethiopie semble être
encore le véritable berceau ( 4 millions d’années ),
l’expansion et la diversification des australopithèques
fut beaucoup plus rapide que l’on pouvait le supposer au
départ. Les caractères spécifiques d’ A. bahrelghazali
ajoutent une ramification supplémentaire à l’arbre déjà
complexe du processus d’hominisation, et du point de vue
phylogénétique, l’espèce tchadienne, par la molérisation
des prémolaires s’orienterait vers le genre Homo. Mais
ceci reste encore à prouver.
Note cryptozoologique :
Un détail dans ce qui précède est particulièrement
frappant : depuis la découverte d’Abel au Tchad, la
cartographie théorique du genre Australopithecus s’est
considérablement modifiée et élargie. Selon les
paléoanthropologues, je le souligne, l’aire s’étend sur
toute l’Afrique australe, la façade est et une grande
bande centrale. C’est précisément dans ces grandes zones
où subsistent encore périodiquement des observations
d’individus furtifs appartenant aux légendes et mythes
locaux, dénommés selon les régions : Kara-Komba, Toulou,
Agogwé etc...
Les études d’Heuvelmans ont démontré les
caractères particulièrement primitifs de ces êtres qui,
même si certains semblent appartenir à l’ethnie Pygmée
( voire aux hypodigmes Homo erectus ou habilis ), donnent
l’impression d’être issus directement d’un lointain passé.
Pour en revenir plus précisément au Tchad, l’étude de
Christian Le Noël laisse supposer la survivance
d’hominidés très primitifs dans des zones très proches des
sites fréquentés par A. bahrelghazali. Que ce soit par la
toponymie ( mont Toulou, abris Toulou... ) ou par les
témoignages décrivant des nains de brousse
morphologiquement très robustes, un faisceau d’indices
permet, d’affirmer cette hypothèse comme digne d’intérêt.
On peut également y ajouter deux points : les conditions
climatiques ont peu changé depuis une époque très reculée,
et la fréquentation de ces zones est très limitée.
Rappelons que le nord de la RCA, le Tchad et une partie du
Soudan sont aussi sources de rapports concernant la
survivance de Machairodus, grand fauve à dents de sabre.
Bref, sachant que le Tchad est un terrain propice aux
données cryptozoologiques, nous sommes en droit d’espérer
que les découvertes paléontologiques déclenchent une
dynamique de recherches ou d’expéditions susceptibles de
confirmer la théorie des survivances d’hommes reliques.