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BIPEDIA 13.4
L’ ÉCOLE ZOOLOGIQUE DE FRANCFORTPremière publication : septembre 1996
Mise en ligne : 29 juin 2003Malgré le peu d’attention prêtée en dehors de l’Allemagne, l’École de Francfort, née à la fin des années 60 sous l’impulsion du professeur Wolfgang GUTMANN, continue à faire des remous en Zoologie.
S’insurgeant contre une Systématique figée et les références obligées au darwinisme, l’École de Francfort innove par le rôle qu’elle donne à la Biodynamique dans l’évolution du vivant.
Une conclusion qui s’impose est qu’il n’y a plus lieu de faire de distinction entre "Animaux inférieurs" et "Animaux Supérieurs"...
UNE RÉFLEXION NOUVELLE
Depuis les "catalogues" de Linné et d’auteurs plus anciens, on avait pris l’habitude d’une Systématique procédant des formes les plus simples ( Protozoaires ) vers les plus complexes ( Vertébrés ). Les zoologues pensaient reconstituer l’histoire des animaux dits "supérieurs" à partir de l’aspect présenté par des formes à morphologie plus simple.
Quant aux fossiles, ils ne sont pas forcément une aide pour déterminer le sens des transformations évolutives. Les témoins les plus significatifs de ces changements ne parviendront très vraisemblablement jamais jusqu’à nous ! Dans la Zoologie classique, l’animal est considéré comme la "somme" de ses caractères morphologiques et anatomiques. On reconstituait derechef son histoire évolutive en faisant celle des traits que l’on croyait retrouver chez des animaux à structure plus simple.
Un bon exemple est l’hydre, considéré comme un être primitif, non sans arrière-pensée, car sa paroi corporelle à 2 types de cellules ( endoderme et endoderme ) entourant une cavité centrale "préfigurait" le stade embryonnaire de la gastrula, commun à bien des animaux "supérieurs" ... D’où une filiation évidente, sauf bien entendu, pour les chercheurs de Francfort !
MAIS OU SONT DONC LES LIGNÉES ANCESTRALES ?
Depuis Aristote qui classait les baleines parmi les Poissons jusqu’à une époque très récente où l’on fourrait tous les vers dans le groupe des Vermes, la Zoologie distinguait, selon la forme générale du corps, des types morphologiques qui correspondaient en fait à la prédominance d’un système ( locomoteur, respiratoire ou reproducteur ). Partant de là, on a pu conclure à une même origine, dans des cas où cela ne s’imposait vraiment pas ! - La Systématique actuelle en est encore toute imprégnée.
L’École de Francfort, quant à elle, s’interroge plus sur les causes biomécaniques du développement des lignées, que sur les similitudes d’aspect que l’on peut ensuite constater.
Tout animal est compris comme le résultat d’une série de structurations. - C’est la dynamique interne du système organique qui est le moteur de ces transformations...Bref, ce sont les êtres vivants eux-mêmes qui modifient leur structure en "gérant" les processus énergétiques à l’intérieur de leur corps. Il n’est plus question de "pressions sélectives"...
L’impératif premier est le maintien de la forme !
Les organismes, des plus simples aux plus "évolués", intègrent de l’énergie ( solaire ou autre ) afin de maintenir intacte leur structure corporelle. Cette énergie sert ensuite à entretenir l’activité métabolique. Et puis, il ne faut pas oublier d’en utiliser pour se reproduire !
Le premier être vivant, en milieu liquidien, était constitué tout à fait logiquement :
- d’une enveloppe ( sans quoi il se serait dilué à l’infini ), et
- d’un contenu...
Quelle que fût la nature du "remplissage", ou la texture de la membrane, nous avions là un organisme autonome et isolé du milieu ambiant !
C’était la première Construction ( terme employé par les chercheurs de Francfort pour désigner un "type" d’organisation structurée ) - En l’occurrence : un système hydraulique qui comporte un fluide interne, soumis à la pression des parois, chaque fois que l’enveloppe vient à se déformer.
Nous savons en effet que tout système hydraulique est régi par les 2 principes fondamentaux :
- Les liquides sont pratiquement incompressibles.
- Les liquides retransmettent intégralement les pressions sur les structures avoisinantes.
A partir de cet énoncé simple, le professeur GUTMANN a tenté de restituer les lignées ancestrales, à l’origine des formes actuelles d’Animaux.
L’ÉVOLUTION DYNAMIQUE
Au début, les organismes ressemblent donc à des "bulles" que traversaient en permanence des flux de matière et d’énergie. La forme ronde n’est pas vraiment idéale pour une recherche active d’énergie : ainsi, ces "bulles" vont avoir tendance à s’allonger, à prendre une forme ovale...
Mais les déformations de l’enveloppe vont se répercuter à l’intérieur : pour résister aux pressions fluidiques, des structures se développent. Soit elles opposent une résistance et deviennent rigides, soit elles sont contractiles, et donc plus souples. - L’essentiel pour l’animalcule, c’est "de ne pas se remettre en boule"... !
La mobilité de l’organisme devant s’accroitre pour lui permettre de se rapprocher des sources d’énergie, les structures rigides vont former une véritable "charpente". Ainsi, moins d’énergie ira dans le maintien ( nécessaire ) de la forme, et elle pourra être utilisée à d’autres tâches.
Cette deuxième Construction, appelée "motiloïde" par le professeur GUTMANN, s’est réalisée toute seule par le jeu des lois biomécaniques. Les autres Constructions suivront de même.La figure ci-dessous, tirée de "NATUR und MUSEUM", la revue mensuelle de l’Institut Senckenberg, restitue l’enchaînement des formes vivantes. [ GRASSHOFF, 1993 ]
On retiendra que les bactéries se développent à partir de motiloïdes dont la membrane s’est durcie. Par la suite, certaines de ces bactéries seront incorporées aux motiloïdes à paroi souple ( = formation des mitochondries ). Puis c’est le stade de la cellule eucaryote, avec noyau distinct. Apparaissent aussi les cils, pour une meilleure mobilité. Les proies sont ingérées à travers une ouverture de la paroi, digérées et transformées en énergie réutilisable dans la recherche pour de nouvelles captures...
Tout cela est bien typique des Animaux. - Et les Plantes ? me diriez-vous... Elles vont naitre de l’union d’algues bleues ( possédant le pigment chlorophylle ) et de certains de ces motiloïdes eucaryotes "de type animal"...
C’est déjà une innovation notable de la part des chercheurs de l’École de Francfort. Plantes et Champignons se seraient développés à partir d’organisme apparemment déjà bien ancrés dans l’animalité !
LES "GALLERTOÏDES"
Après la séparation d’avec les Unicellulaires, c’est au tour d’une toute nouvelle Construction de faire son apparition sur le devant de la scène évolutive : le gallertoïde ( du mot allemand Gallert qui signifie "gélatine" ).
Cette Construction se caractérise par l’injection d’une matière colloïdale assez ferme à l’intérieur d’un système de canaux internes ( réticulum endoplasmique ) déjà présent. A l’origine, ce système avait pour fonction de transporter des substances énergétiques d’un point à l’autre du corps cellulaire.
Un tel remplissage aura des conséquences, car toutes les données biomécaniques vont être changées. Les fibrilles de collagène, dans les canaux, forment une nouvelle structure de soutien. Le tissu conjonctif fait lui aussi son apparition. Certains gallertoïdes disposent d’un remplissage de type conjonctivo-musculaire. Quant à la locomotion, elle est assurée par des cils, dont l’enveloppe externe est tapissée.
Dans les Constructions suivantes, des cavités corporelles se creusent par le jeu des interactions entre liquides et tissus. Les parois de ces cavités peuvent se couvrir de petites cellules. Celles-ci vont intervenir dans des rôles bien particuliers, comme la capture ou l’ingestion des proies...
COMMENT SE SONT FORMES LES ANIMAUX PLURICELLULAIRES ?
Chacune des nouvelles cellules du corps, une fois entourée d’une membrane qui lui confère son individualité, va pouvoir assumer une spécificité propre. L’acide nucléique ( ADN ou ARN ) présent de façon diffuse dans le cytoplasme, se regroupe dans les "noyaux". Il sera désormais au service de la cellule pour les fonctions de synthèse des protéines et de mitose.
Les premiers êtres pluricellulaires sont nés... A partir de ce moment, le devenir des gallertoides va dépendre de quelques options ( mode préférentiel de locomotion, usage qui sera fait des cavités ).
Si l’on réfléchit bien, il n’y a pas foule de possibilités biomécaniquement réalisables. Bien sûr, une fois les schémas de développement établis, on s’apercevra que les affinités entre les groupes ne sont pas tout à fait les mêmes que celles prônées par la Zoologie traditionnelle !
Il y a ainsi 2 façons de se mouvoir : à l’aide de cils répartis sur l’épiderme, ou bien par un mouvement saccadé en zig-zag ( possible chez les gallertoides de formes allongée ) qui rend les cils superflus.
Les Constructions ciliées s’inscrivent dans 3 grandes options :
- Capture de proies à l’aide de tentacules ( Cténophores )
- Multiplication des canaux ( Éponges )
- Élargissement des canaux ( Coelentérés )
Les Constructions de type allongé ( nageurs serpentiformes ) ont adopté un mode de locomotion qui contribue largement à remodeler les structures organiques internes, en application des principes hydrauliques. Ainsi, quand le corps se contracte en progressant, le refoulement des fluides corporels, de viscosités différentes, se fait vers le côté opposé. Il en résulte de véritables poches sur les flancs de l’animal, puis le fractionnement de celles-ci. Ce sont les coelomes, répartis dans chaque segment ( ou métamère ), tout le long du corps à l’aspect de "lombric".
2 options s’offrent maintenant dans la façon de rechercher et de’ capturer la nourriture :
"Bouche rigide" : sorte d’entonnoir, futur pharynx branchial, dans lequel l’eau rentre avec les particules comestibles, puis ressort par des fentes ( Chordés ).
"Bouche mobile" : toute la partie antérieure de l’animal se déplace en quête de nourriture ; il n’est plus nécessaire que le corps soit en mouvement ( Insectes, Mollusques ).
Je me permets ici de simplifier drastiquement, tant la démonstration du professeur GUTMANN, que l’ampleur de ses travaux ( et de son équipe ) traitant de tous les Embranchements du Règne animal. - Plus d’une cinquantaine d’articles ont été publiés à ce jour, notamment dans la revue "NATUR und MUSEUM".
[ Senckenberganlage 25, D-60325 Frankfurt am Main ].
L’EXEMPLE DES VERTÉBRÉS
Dans la perspective ouverte par l’École de Francfort, la réflexion du chercheur zoologiste porte non plus sur les ressemblances superficielles entre organismes, mais bien sur les étapes de structuration dictées par les lois biomécaniques en milieu liquidien.
Les transformations secondaires qui modulent l"’aspect" des morphotypes que nous connaissons, n’interviennent qu’ensuite. Voici donc, à titre d’exemple, l’histoire phylogénétique des Vertébrés, issus de la Construction "bouche rigide".
A ce stade précoce, l’animal se comporte comme "un appareil filtreur propulsé dans l’eau". Celle-ci, ingurgitée avec les particules alimentaires, est évacuée par les fentes d’un pharynx branchial, collectée dans une cavité péribranchiale et rejetée vers l’extérieur par des fentes de l’épiderme.
La propulsion du corps se faisant par un mouvement de "zigzag", l’on comprendra aisément que, pour des raisons d’économie énergétique, un organe de soutien en forme de baguette a pu se développer : il s’agit de la corde dorsale qui deviendra plus tard notre colonne vertébrale...
Une telle structure maintenait constante la longueur du corps. Elle permettait en outre, à chaque flexion, de faire revenir automatiquement le corps en position première, d’où une économie notable sur la consommation globale en énergie !
Pour des raisons évidentes de stabilité, ce dispositif devait entraîner la formation de replis natatoires latéraux, et d’un appendice caudal dans le prolongement de la corde dorsale...
L’ancêtre direct des Vertébrés était ainsi une Construction de type allongé, avec tige axiale et bouche rigide, qui pro- gressait. dans l’eau par ondulations. Le corps présentait encore un aspect segmenté.A ce niveau interviennent des bifurcations, notamment en direction des Entéropneustes ( Vers balanoglosses ) et des Echinodermes ( Oursins, Etoiles de mer... ).
En rapport avec son mode d’alimentation microphage, le pré-vertébré n’avait pas développé de tête. - Le système nerveux correspondait à notre moelle épinière.
Pour le professeur GUTMANN, des plaques cornées incluses dans la peau ont pu, à ce stade de l’évolution, stabiliser le profil du corps en l’engainant dans une véritable carapace. Ce qui permit un développement adapté du squelette interne, notamment autour de la fragile région consituée par la bouche et les ganglions nerveux apicaux. On l’aura compris, cette interprétation rejoint les données actuelles de la Paléontologie concernant l’apparition des Agnathes.
Mon hypothèse personnelle verrait le développement au-dessus du domaine buccal d’un organe de sustentation, "bulle" se gonflant par intermittence pour permettre une ascension ou une descente rapide dans l’eau. Constitué par une excroissance épidermique, remplie de gaz, puis d’un tissu de remplissage neueo-ectodermique, cet ensemble allait devenir rigide après l’intercalation d’une membrane mésodermique de même nature que la corde dorsale. J’explique ainsi la formation du crâne osseux chez les Vertébrés.
CONCLUSION
Le grand mérite du professeur GUTMANN sera finalement de nous convaincre que la Zoologie n’est pas une science "figée".
Contrairement aux schémas évolutifs linéaires, élaborés sans trop se poser de questions sur la "faisabilité" biomécanique des êtres vivants, l’École de Francfort opte pour une radiation en étoile, s’articulant autour du groupe-clé des gallertoïdes.
Des types d’animaux, aussi divers que les Eponges ou les Insectes, les Méduses ou les Gastéropodes, ne peuvent plus être taxés d’inférieurs. - Tous sont à égale distance des gallertoïdes, que les Vertébrés auxquels nous appartenons !
François de Sarre
P.S.
BIBLIOGRAPHIE ( restreinte )
BONIK, Klaus et a1. (1976) : "Die Evolution der Tierkonstruktionen - Vom Gallertoid zur Coelomhydraulik", Natur und Museum, 106 ( 6 ) : 178-188.
GRASSHOFF, Manfred (1993) : "Die Evolution der Tiere in neuer Darstellung", Natur und Museum, 123 ( 7 ) : 204-215.
GUTMANN, Wolfgang (1993) : "Hydraulik-Konstruktion und Evolution"
In : GUTMANN & SCHARF [ Hrsg. ] : "Die Evolution der Organismen", Praxis d. Naturwiss., 42/8 : 1-11.
HERKNER, Bernd (1991) : "Neue Betrachtungen zur Chordatenevolution", Natur und Museum, 121 ( 7 ) : 193-203.
SARRE de, François (1992) : "The Marine Homonculus hypothesis, an alternative paradigm for Human earliest evolution", Bipedia, 9 ( 10 ) : 13-16, Nice.